dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 3 - David M.

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 17 à 21 écrits par David M. forme la page 3 de son texte.]

J’étais un apache, un brigand, un aventurier. Tout me souriait: je traversais sans peine les forêts les plus dangereuses, pour en ramener les fleurs les plus rares, les papillons les plus beaux, jusqu’au jour où, d’un pied hardi, que je promenais nu sur le sol de la forêt, pour professer mon anticonformisme enfantin, je marchais sur une abeille constrciteuse. Mon cri vola jusqu’à Jakarta, à deux journées de marche.

Cette piqûre marqua le début d’un cauchemar, dont je ne suis pas encore réveillé. Mes hommes me laissèrent pour mort, sous un palmier, sans doute en hommage à mon amour de la nature et de la vie au grand air. Des fourmis eurent tôt fait d’établir une colonie sur mon ventre. Le Nord, qui occupait ma poitrine, entra en guerre contre le Sud, qui bivouaquait sur mon estomac. La cuvette formée par mon nombril fut le tombeau de nombreux braves. J’observais cela plusieurs jours, tout occupé à demeurer paralysé. Mon téléphone finit par sonner. L’homme qui voulait me vendre du double vitrage m’avait sauvé. Les fourmis déguerpirent. Et un indigène qui passait par là, attiré par la sonnerie, me recueillit, me nourrit, et veilla sur ma convalescence pendant de longs mois.

La piqûre de cette abeille fut une malédiction et une bénédiction. Elle me plongea dans la plus grande confusion, ma vision du monde renversée, obsédé par cette question, pourquoi? pourquoi? - pourquoi existe-il de telles bêtes, en apparence si fragiles, qui peuvent pourtant nous terrasser, nous, les maîtres de cette terre? La vie n’a-t-il donc aucun sens? Sommes-nous de faux géants, pour pouvoir être si aisément abattus? Un projet commençât à prendre forme en moi et, bien que toujours possédé par une angoisse paralysante, je sentais en mon esprit s’ébaucher une réponse. J’appelais Paris et j’obtenais mon rapatriement immédiat.

Dans l’avion qui me transportait, je scrutais le ciel étoilé, sa noirceur, sa simplicité et son ordre naturel. Je pris l’habitude, revenu dans la maison de ma famille, de me promener la nuit dans notre parc, à la recherche de cette solution, qui m’est apparue il y a quelques jours, alors que, tout occupé à mesurer l’écart entre la sauvagerie de la jungle indonésienne et la sérénité qui enveloppe nos jardins, je vis une colonne de fourmis, qui escaladait un chêne. Je songeais sur le champ au merveilleux esprit d’enfance de Méliès, je m’étonnais du fantastique esprit de résistance des insectes, que même le brave Géronimo n’égalait pas - et devant cette anarchie pleine de vie, je languissais après la clarté mathématique du mode magique de Turing, un mathématicien dont le destin tragique, que vous connaissez sans doute, m’émeut, et me fiat chaque fois sentir combien les hommes sont méchants, et les personnalités d’exception, comme moi, persécutées.”

Heisenberg prenait bonne note, en son for intérieur, des recherches à faire une fois revenu devant son ordinateur: Java, abeille constricteuse, Méliès, Géronimo, Turing, délire de persécution, paranoïa... quand la main de Monsieur Sheep se posa brusquement sur son épaule, le faisant sursauter: “Ce fut une révélation, le ciel s’éclaircit, la lune parut dans sa blanche nudité, la solution était toute trouvée - j’étais le Newton de notre siècle, l’Archimède de notre temps - sauveur et prophète de notre civlisation.” Heisenberg, intérieurement, comptait les pas qui le séparaient de la sortie, et la probabilité qu’il parvienne à fuir sans renverser un bibelot précieux, qu’il ne pourrait rembourser.
(à suivre)

David M.