dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 6 - David M.

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 32 à 36 écrits par David M. forme la page 6 de son texte.]

Cela faisait trois minutes que Sheep avait sombré dans ses pensées et qu’Heisenberg se mordait les doigts d’avoir voulu accélérer la manoeuvre avec pour tout effet d’avoir poussé son client potentiel, non pas à cesser de monologuer, mais à cesser de monologuer à haute voix, pour s’enfermer dans un mutisme pensif, parfois secoué des murmures vindicatifs aussi pulsionnels que rapides, visant la police, les juges, le maire de son village et le guichetier de la poste locale. Il décida alors d’un repli tactique, lent et progressif, vers la porte. Il n’avait pas fait trois pas, l’oeil toujours rivé vers Sheep, que celui-ci, sorti de sa rêverie, l’arrêta d’une question: “Où allez vous, voyons?”.

La retraite d’Heisenberg avait été coupée. Il ne lui restait plus qu’à repartir à l’assaut, mais en changeant de stratégie. Ses attaques frontales ayant échoué, il décida de contourner Sheep par le flanc et de le lancer sur un autre sujet: “Je n’ai pu m’empêche d’admirer sur votre lettre ce filigrane en forme de pyramide. Je me demandais: quelle est sa signification? Sheep lança ses mains en l’air, frétillant de plaisir, son visage s’éclairant à l’idée de partager un nouveau détail de son existence avec un parfait inconnu. Monsieur Sheep fondit sur Heisenberg, s’arrêta, se replia: “Non, la pyramide, cela n’a aucun rapport avec notre affaire.” Silence. Sheep sortit de sa poche une montre à gousset, la regarda distraitement, et prit un air impatient: “Nous avons trop tardé. Je vais vous donner les détails de cette affaire, que vous puissiez vous mettre rapidement au travail.”
***
Heisenberg referma la porte du bureau de Monsieur Sheep. Il vérifia dans sa poche de veste s‘il avait repris son carnet. Le carnet était bien là, noirci consciencieusement par les nombreuses notes qu’il avait consignées, écoutant patiemment le récit décousu de celui qui était désormais son client. Quelle étrange affaire! Il avait appris à toujours laisser les victimes donner leur version des faits. Il avait appris à conduire un interrogatoire sans forcer la main du plaignant. L’état de confusion de Sheep l’avait incité à ne rien censurer:il analyserait cela plus tard, verrait ce qui est exploitable. Il s’arrêta au pied de l’escalier: si une parcelle seulement de cette histoire extravagante était vraie, alors ce serait assurément l’affaire du siècle.  Alors qu’il s’apprêtait à remonter à la surface, Heisenberg perçut un mouvement du coin de l’oeil, il entendit un bruit de pas, ressentit un choc sévère, et sombra dans l'inconscience.
***
Heisenberg ouvrit les yeux. Il n’était pas chez lui. Son regard se posa sur un sac de voyage, posé devant lui, ouvert, d’où dépassaient chemises et caleçons, jetés sans ordre les uns sur les autres. Il essaya de se lever, en vain. Ses mains étaient attachées dans son dos. On l’avait assis sur une chaise, menotté, au milieu d’une jolie chambre, fleurie, décorée avec goût, quoique sans originalité, dans un style balnéaire, qui mêlait marines accrochées aux murs, bouées, coquillages et maquettes de bateau. Heisenberg fut tiré de sa contemplation par une voix provenant du cabinet de toilette: “Non, je ne m’en suis pas débarrassé. Et qu’est-ce que cela veut dire, débarrasse-t-en? Je ne suis pas un assassin. Non, il est là, attaché. Non, non, il n’est pas éveillé. Ce que je compte faire? - Mais c’est à toi de me le dire!”.

“Qu’est-ce qu’il sait? Mais ce n’est pas la question! Je l’ai assommé, il s’est étalé comme un arbre coupé. L’interroger? Mais je ne sais pas faire, ça! Et puis, cela changerait quoi? Je nous ai permis de gagner quelques heures, c’est tout. (silence). Oui, c’est une idée, cela. Oui, je vais lui demander. Et si personne ne sait où il est? ”. Silence. La conversation s’était achevée. Le majordome de Sheep sortit de la salle de bains et jeta rageusement son téléphone sur le lit. Il se tourna vers Heisenberg, sembla surpris de le trouver éveillé, puis reprit sa contenance: “Vous êtes réveillé? Tant mieux. J’ai des questions pour vous.” 



(à suivre)

David M.