dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 5 - FG

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 27 à 31 écrits par FG forme la page 5 de son texte.]



La pièce est extrêmement ennuyeuse ; Boulier raconte des anecdotes qui ne mènent nulle part, tente d'être spirituel mais ne parvient qu'à être assommant. Les autres spectateurs ne sont pas plus fascinés que moi ; mon voisin écrit sans cesse des textos tout en riant sous cape ; deux personnes derrière moi parlent de leurs vacances en Espagne. J'essaie désespérément d'être attentif, au cas où Boulier me demanderait mon opinion tout à l'heure. Pf. Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt du théâtre...
Boulier m'ayant aperçu et reconnu pendant la pièce, il me fait signe de le suivre, après les applaudissements dispersés et vite fanés du public. J'entre derrière lui en coulisse. Il ouvre une porte et me fait entrer dans sa "loge" – en réalité une alvéole à peine assez grande pour qu'on s'y tienne à deux. Boulier commence à enlever son maquillage et va droit au but : "Tu viens me voir au sujet de Locus, c'est ça?" De près, il s'exhale de lui une sorte de magnétisme qui ne se traduit d'aucune façon à la scène : on a l'impression que tout ce qu'il va dire va être intéressant. Je comprends mieux sa carrière en lui parlant ainsi quelques minutes : en personne, les producteurs sont immédiatement séduits ; sur scène, il ne parvient pas à séduire les spectateurs. Sans manifester d'étonnement par rapport au fait qu'il sait la raison de ma visite, je lui dis que j'aimerais le voir, mais que je ne sais pas le joindre puisque je ne l'ai pas vu depuis notre séjour en Bourgogne.
Il me répond : "Locus, tu ne le trouves pas, c'est lui qui te trouve. Il va trop vite, il se déplace constamment. C'est impossible de savoir où il est ou comment le joindre. Moi, je n'ai pas de numéro de téléphone, je n'ai pas d'adresse, je n'ai aucun renseignement à son sujet. De fait, il est apparu comme ça un matin, il a sonné chez moi alors que je dormais encore. Il m'a dit que tu viendrais bientôt me voir, que tu me poserais des questions à ton sujet. Tu vois bien, il savait déjà tout."
– Il t'a dit pourquoi je voulais te parler ?
– Non, répond Boulier, simplement que tu voudrais le voir. Il ne m'a pas dit pourquoi.
– Et c'est tout, il ne t'a rien dit de plus ?
– Si. Il m'a encore dit de te dire : "On se retrouvera sur le pont, à cinq heures."
Boulier et moi parlons encore quelques minutes, mais quant à moi je ne le fais que pour ne pas être impoli. Dès que possible, je lui dis au revoir et je rentre chez moi.
Les choses vont de mal en pis. Je n'en peux plus de ces énigmes, de ces devinettes. Que me faudra-t-il faire encore ? Allez cueillir la fleur magique de l'Himalaya ? Je pourrai en profiter pour dire bonjour au yéti, puisque je serai au Népal... Tout d'un coup, je ressens une immense fatigue. C'est sans doute le décalage horaire ; je n'ai pas encore dormi une nuit normale depuis mon retour. Je vais tout de suite me coucher. Demain, j'aurai le temps de réfléchir ; demain, je serai plein d'énergie et je travaillerai sans relâche !
Au milieu de la nuit, je me réveille brusquement. Et si cinq heures voulait dire cinq heures du matin ? Je regarde le réveil. 3h45. Il ne me reste qu'une heure quinze minutes pour trouver la réponse.
En fait, je ne sais pas pourquoi, presque immédiatement me vient en tête une certitude : ce sera sur un pont d'où l'on peut apercevoir une horloge. Donc, probablement, sur le pont des Arts, et l'horloge de l'institut. J'irai donc sur le pont des Arts, à cinq heures du matin, et j'y retrouverai Locus, et j'aurai enfin la réponse à toutes mes questions. Cette décision ayant été prise, tout irrationnelle qu'elle soit, je m'endors paisiblement.
Quand je me réveille, je suis si peu reposé que j'ai un moment de vertige en sortant du lit. Une main appuyée sur le mur, j'essaie de retrouver mes esprits. Qu'est-ce que Boulier a dit exactement ? Est-ce que cela vaut vraiment la peine que je me lève ? Sur un pont, à cinq heures. Et si je me trompais ? Si, suivant le fil le plus ténu, je m'étais inventé une réponse à cette énigme que rien ne m'aide à résoudre ?
Qu'importe, après tout ? J'irai, et si Locus n'est pas là, je rentrerai chez moi et j'irai dormir. Voilà tout. Armé de cette consolation, je m'habille et je sors. Les rues sont désertes, les lampadaires sont toujours allumés. À cette heure-ci, il n'y a pas encore de métro, et je ne vois de taxi nulle part. Il faudra marcher.

(à suivre)

FG