mardi 3 avril 2012

TEAM TWO - Episode 2



[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]

(1) "Un éclat renverse son regard entrouvert. Sa paume moite franchit ses cheveux comme pour mieux se distancier de leurs dialogues vides, de leur infinie lenteur aux issues verrouillées. Elle croit avoir une meilleure idée, raisonne un instant avec elle-même, se redresse et se lance: "Et si on jouait aux dés?"" (Charles M.).



(2) "Il s'apprêtait à enjamber le large tronc de l'arbre quand la foudre tomba à deux pas de lui, soulevant une épaisse fumée, d'où bondit un moine en haillons. Le moine avait un arc dans une main, une mangue dans l'autre. A son côté pendaient des poissons encore frétillants. Sur son front était peint un troisième oeil. Il regarda avec surprise notre héros et s'écria: "Que fais-tu en travers de mon chemin? Es-tu donc le gardien de ce chêne?" (David M.).



(3) "Depuis que j'ai ouvert les yeux dans cette forêt il y a de cela quatorze jours maintenant, les questions n'ont de cesse de tournoyer. Si j'étais dans un intérieur quelconque, j'en badigeonnerais les murs. Je ferais visiter ma maison à d'illustres inconnus et je leur dirais : "Ceci sont mes questions. Elles me servent de décoration". Les visiteurs me répondraient dans un langage vide de sens que je feindrais de comprendre en effectuant de petits hochements de tête adéquats. Je n'ai pas forcément la clé du langage de mes congénères, je ne l'ai jamais eue... mais les questions restent les mêmes : qui sont-ils ? Eux ? Vous ? Tous ? QUI ?

La survie dans la forêt n'est pas si dure : il court une petite rivière poissonneuse non loin de l'abri que j'ai confectionné à l'aide de quelques branches d'arbousier et l'onde y est très généreuse, notamment sous le petit pont, seule trace de civilisation croisée jusque là. Un pommier me permet de me sustenter et les fruits qu'il donne sont gorgés de sucre. J'ai obtenu du feu, très exactement par la foudre et telle que je le prévoyais. Une tortue me tient compagnie. Je la nourris de feuilles et de pommes justement. Je ne pense pas qu'elle soit capable de se débrouiller seule : elle est lascive et paresseuse. Je ne l'apprécie que très moyennement mais je m'en contente : je n'ai pas le choix. La vie est douce et je commence à ne plus rien regretter de mon ancienne vie citadine. Si les questions demeurent quant à l'identité des personnes qui m'ont emmenée ici, dans un sens, je les en remercie. QUI ?" (Alban Orsini).



(4) "Le choix d'un site est essentiel pour organiser une bonne catastrophe. Le crash avait eu lieu près de l'île de Pâques. Le Veilleur, reconnaissable à son tatouage du Tanoué, le poisson primordial, sortait tout juste de sa tente quand il entendit un bruit qui lui fit penser à une pomme immense croquée par un Nia, les géants qui gardent la demeure de Tanoué. Il leva la tête et vit un immense oiseau en feu s'abattre comme s'il avait été touché en plein vol par une flèche. Il avait l'impression que la chose était tombée du côté du pont. « Pourvu que la créature du ciel ne soit pas tombée sur le village ! » s'écria t-il. Il couru pendant dix minutes, et, soulagé, vit une sorte d'immense rocher bariolé s'enfoncer dans la mer, près du rivage. La tortue lui chuchota d'aller observer l'animal de plus près. Il couru tant qu'il avait pied, nagea quelques mètres, plongea. La porte de l'avion était trop bien verrouillée. " (008).



(5) "Elle s’agrippa à son siège en essayant de ne pas réfléchir, de ne pas jeter de ponts entre ses pensées en pagaille, d’oublier abeilles et poisson, de faire adopter à son esprit un rythme de tortue, voilà, de tortue, tout plutôt que ces fichus insectes au bourdonnement assourdissant… Mettre un mouchoir sur ses pensées, les enfermer dans un coffre et en jeter la clef, ne pas croquer dans cette pomme défendue. Rouvrant les yeux et les tournant vers son voisin, elle s’aperçut qu’il était parfaitement réveillé à présent et qu'il la contemplait fixement. Sa voix lui parvint comme un éclair dans l’orage : « On se connaît ? »" (Juliette Sabbah).