lundi 16 avril 2012

TEAM TWO - episode 18

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]




(Suite de l’histoire n°1) “La danse des ombres portées par les algues de l'aquarium pare la pièce d'incessantes ondulations. Absolument certain d'avoir perçu le mouvement rapide de deux insectes zigzaguant en toute impunité, il se lève d'un bond vers l'angle de la pièce, renversant une petite table basse. Il évite de marcher sur son téléphone ou sur l'assiette de fruits offerte par l'hôtel qu'il vient de renverser, glisse sur le collier de perles qu'elle a laissé tomber là puis s'écrase assez lamentablement sur la moquette.” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Chan Li Poum hésita, puis, considérant que c’était là la raison de ses voyages, et encouragé par le succès du premier candidat, marcha vers le greffier, se présenta à lui et déposa au pied de l’intendant du monastère un peu de viande séché, offrande imposée pour être autorisé à concourir. Puis, il prit place au milieu de la place, ôta sa chemise, fit quelques étirements et prit enfin la posture de la guêpe au repos.
L’odeur de jasmin qui enveloppait les maîtres le déconcentrait, comme le déconcentrait la lente marche du ver de terre qui se traînait à ses pieds, comme le déconcentraient les regards que posait sur lui la foule assemblée. Le greffier frappa le petit gong posé à sa gauche. Chan Li Poum s'élança comme une flèche trop longtemps retenue. Il commença par des passes avec ses mains, certain d’impressionner ses spectateurs - puis fit peu à peu des gestes plus larges, imitant le vol imprévisible de la guêpe. Enfin, il conclut sa démonstration d’un envol de toute beauté. Il reprit la posture de la guêpe au repos et attendit le verdict des maîtres. Les trois vieillards échangèrent des regards entendus et, d’un même mouvement, pouffèrent de rire.” (David M.)



(Suite de l’histoire n°3) “Et la mauvaise écriture des Chiliens n'est rien encore : ils veulent tout de nous ! Ne nous laissons pas déborder par l'envahisseur chilien, ne fléchissons pas ! Ayons-les à l'œil : ils ne méritent que ça ! Ils en veulent à notre argent, à notre culture et à notre couverture sociale ? Et bin on va leur expliquer la vie, moi je vous le dis, à ces rififi de Chiliens ! Ils se répandent avec leurs odeurs chiliennes primaires et leurs bouches édentées grossières et toutes rafistolées de Chiliens : ils sont si laids, ils ressemblent à des bêtes, des chiens _ je n'aime pas les chiliens_ et comme les chiens ils se reproduisent entre eux et se reconnaissent à l'odeur de leurs fesses et leurs fèces. Leurs femmes sont surfécondes et enfantent les êtres difformes et répugnants qui feront les nouveaux chiliens et qui se reproduiront à leur tour dans le noir à la façon des vers. Leurs enfants faméliques envahiront les rues et mangeront nos enfants en prétextant des jeux : nous pouvons déjà compter les cadavres dans les rues dans lesquelles ils déambulent le regard blanc et révulsé et avide et quand ils ne disent pas : "veux-tu jouer avec moi", ils s'ont occupés à dévorer du regard ce qu'ils dévoreront bientôt. Et puis ils viennent avec leur très mauvaise nourriture de Chiliens, de la nourriture empoisonnée qu'ils nous imposent. Et leurs habits de Chiliens qui soi-disant sont mieux que ceux de Nike, alors qu'ils sont tissés avec les poils et les cheveux de nos morts _ je n'aime pas les Chiliens. Et leurs technologies de Chiliens. Et leurs calculatrices de Chiliens. Et leurs consoles de jeux chiliennes. Et leurs ordinateurs chiliens avec leur Wi-Fi chilien et leurs clés USB chiliennes. Et leurs opérateurs de téléphonie mobile chiliens. Et niveau bouffe, j'y reviens, d'abord l'asado c'est peut-être totalement carrément argentin ! Ah ah ! Pouët pouët on ne la ramène pas hein ? Je suis le changement. JE suis le changement. JE, MOI, MOI, MOI, personne d'autre que moi _ j'ai le pouvoir, c'est moi, MOI, MOIMOIMOIMOIMOIMOIMOIMONMOIMONMOIMOI je veux gouverner, MOIMOI, je suis une femme, c'est MOI ! MOUAAAAAAAAAÂÂÂÂ ! Mais y'a les chiliens, eh oui, et ils ont de ces idées derrière leur grosse tête laiiiiiiiiiiiiide de chiliens et des manières de faire, des manières de Chiliens si vous saviez, que le changement, et bien, il est pas facile facile, on a des bâtons dans les roues, des branches d'arbousier, chaque jour, des bâtons d'arbousier de la taille des manières des Chiliens : gros et tordus comme le monde qui est porté par des éléphants et la... je ne les veux pas. Personne ne les veut. Je déteste les Chiliens, je n'aime pas les Chiliens, MOIMOI.
Non mais ! Ça va oui ? C'est bon là eh oh ralala ! Pof, pof, pof, allez allez, dehors les Chiliens... DEHORS LES CHILIENS !!!! Alors l'autre jour j'étais sortie, toute belle comme à mon habitude, toute pimpante quoi, avec le rouge à lèvres carmin et la petite jupette qui fait bien à ras les genoux, et je me promenais, tranquille et fraîche, avec mon petit panier qui dodelinait gentiment dans ma main, et là deux frustres paysans m'accaparent comme ça, comme si de rien n'était, genre : "bonjour madame" tout ça "fait bin bin joli hein" lalala "oh oui dites donc" et là _ paf_ ils me prennent en levrette, par derrière, alors je leur dis "non" puis "non mais oh ça va pas bien là" et "oh la la, tout de même" et "c'est pas bientôt fini oui ?!"et puis bon voilà, j'ai baissé les bras parce qu'ils avaient raison : il faisait ben bin joli ce jour-là. Alors une fois leurs petites affaires terminées, je pars en courant, je laisse tomber le petit panier qui ne dodeline plus du tout dans ma main, je me nettoie la minette dans la rivière poissonneuse, je me souviens entre temps que je suis à la tête d'un projet de jardin botanique parce que j'ai passé l'année dernière très justement le concours national des paysagistes nationaux et que je l'ai réussi du premier coup et que j'ai de ce fait des obligations et c'est comme ça que je suis devenue femme politique. Alors je me présente au Sénat, je signe le papier, et me voilà sénatrice. Parce que c'est pas compliqué d'être sénatrice hein. Ils te font juste passer un concours en te posant deux questions : "Vous savez construire une cabane ?" et " Vous savez que la mousse qui pousse sur les troncs d'arbre indique le nord ?" et si tu réponds "oui" aux deux questions, ben je te le donne en mille : t'es sénatrice et t'as la belle voiture de fonction avé la cocarde en sus. Bon. Alors ils m'ont mis une jupe longue de vierge qui n’a pas l'air d'y toucher pour un sou, je leur ai raconté pour le viol et ils m'ont dit "ben t'as qu'à dire que ce sont les Chiliens qui t'ont fait ça". Alors je suis allé sur le balcon, j'ai dit : "Don't cry for me Argentina" avec les deux bras qui partaient à la kermesse alors que j'étais pas du tout en Argentine puis "The turtle is I never left you" et enfin  "C'est ces deux conneaux de Chiliens qui m'ont fait le coup" et là ça a été la liesse que tu en peux plus et je suis devenue un véritable danger pour le président sortant et de fil en aiguille bé té, je suis là devant vous. Mais en fait c'est pour ma mère que je suis ici.
Pour que rien ne lui arrive rien. Que les Chiliens ne lui fassent pas de mal _ je n'aime pas les chiliens. Je pense à elle, je pense à vous : je tiens à vous protéger. Nous sommes un seul corps. Ce que je fais pour elle ou bien ce que je veux pour elle ou bien ce que je souhaite pour elle, je le fais, veux, souhaite pour vous tous ici réunis pour me voir. Ah ah _ Que je compte les jours, que je mange des pommes, ou que j'ai tué la tortue, on s'en fout.
Nous voulons le changement pour notre pays.
C'est une nouvelle ère qui se profile.
Je suis comme vous.
Nous désirons la même chose.
C'est maintenant que vous pouvez applaudir.
Applaudissez.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Une main fine se saisit du téléphone. Un diamant cerclé d’or éparpilla quelques reflets irisés sur les murs du couloir. C’était une belle journée de printemps, de celles où rien de grave n’arrive, mais ça, elle n’en avait à peu près rien à foutre. Elle savait bien que les pépins n’attendaient pas que les pommes soient mûres. «QUOI» aboya-t-elle en décrochant. Un bredouillement tenta de se faufiler hors de l’enceinte et de ramper le long de son canal auditif. C’était tout à fait irritant. Elle s’arrêta. «SOYEZ PLUS CLAIR, ARTICULEZ !» Elle avait toujours la parole majuscule.
Ses talons claquèrent de plus belle. Elle fit élégamment voler ses cheveux derrière son épaule gauche.
"COMMENT ÇA PERDU, ON NE PERD PAS UN SIGNAL CHRISTOBAL. C'EST-A-DIRE ? UNE SECONDE ? CHRISTOBAL JE ME FICHE DE VOS EXCUSES, IL N’Y A PAS DE SECONDE QUI TIENNE. J’EN AI ASSEZ DE VOS EXCUSES, ALLEZ AU FAIT ! DES FAITS ! PAS DES METAPHORES ! ET PLUS VITE QUE ÇA !"
Elle avait rapidement compris la situation. C’était son job. Elle était une sorte de super ordinateur. Elle se dirigea comme une flèche vers un hangar de service où l’attendait une voiturette électrique. C’était son job. Elle se voyait bien en microprocesseur dernière génération, donnant des ordres à tout un système bricolé maison. C’était à peu près tout ce qu’elle tolérait comme métaphore. Claire et efficace comme un circuit intégré. Un aboiement attira l’attention d’un manutentionnaire, Un regard suffit à lui signaler son boulot. Impulsion. A l’autre bout du téléphone, ça tremblait toujours aussi fort. Son timbre changea, elle se radoucit. Il ne fallait pas que l’autre fasse une connerie avant qu’elle arrive. Et comme ça, il arrêterait peut-être de se justifier... Elle synthétisa la situation :
Mardi 17 avril, 15h37-15h57, vol Sidney-Santiago disparu des écrans. Défaillance ? Probable mais pas sur. Horaire d’arrivée prévu : 19h45. Contact quelconque ? Pas encore. Disparition des écrans : environ 3000 km du point d’arrivée, survol Pacifique.” (Julien D. assure l’intérim de 008)



(Suite de l’histoire n°5) “La chambre de Maya se trouvait au 3e étage de l’hôtel du Dauphin (elle se demanda furtivement si le dit dauphin se trouvait dans la piscine…) Elle s’assit sur son lit en essayant de remettre de l’ordre dans ses idées : l’avion qui secouait, le Boulier, le vrombissement qui lui faisait invariablement monter des sueurs d’angoisse. Le téléphone sonna, elle décrocha : « C’est moi », résonna à ses oreilles la voix de l’homme frisé. « Venez dans ma chambre, je vais vous expliquer ce que je fais là, vous raconter l’histoire du scarabée et du Boulier. Mais en contrepartie, vous devez me dire comment vous avez échappé à l’incendie ».” (Juliette Sabbah)