dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 7 - FG

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 37 à 41 écrits par FG forme la page 7 de son texte.]

Nous nous regardons, en silence, chacun aussi étonné que l'autre de se voir en ce lieu, à cette heure improbables. Nous nous regardons, comme deux étrangers qui se voient pour la première fois. J'essaie de sourire, d'avoir l'air normal, d'être content de la voir, mais, je ne sais pas pourquoi, je me sens comme un mouton à l'abattoir. Son visage, une fois la surprise passée, se renfrogne. Elle rentre la tête dans les épaules, comme l'on fait quand on a froid, comme une tortue qui veut laisser sa carapace la protéger.
– Mais qu'est-ce que tu fais là ? demande-t-elle enfin.
– Et toi ? Je te croyais aux États-Unis, je ne savais pas que tu étais rentrée.
Elle ne répond pas. Je ne m'attendais pas à la voir, mais puisqu'elle est là, devant moi, je dois en profiter.
– Pourquoi tu n'as jamais répondu, quand je t'ai téléphoné ?
Son visage cette fois s'assombrit tout à fait. Cette simple question aurait-elle suffi à rallumer le flambeau de la discorde ? Elle va partir, elle va s'en aller, sans que j'aie le temps de lui parler, et je ne la reverrai sans doute jamais : il faut la retenir, il faut me faire pardonner. Il faut changer de stratégie.
Je m'écrie précipitamment :
– Je suis désolé, Reinette, n'aie pas peur ! Je ne veux pas que nous nous disputions. Je ne m'attendais pas à te voir, c'est tout. Je suis surpris.
– Mais comment savais-tu, d'ailleurs, dit-elle, que je passerais ici ?
Et me voilà à la croisée des chemins... Que dois-je répondre ? Si je dis que je ne le savais pas, que c'est le hasard, je parais sincère mais elle aura toujours des doutes. Est-ce que je la surveille ? etc. Mais si je commence à lui dire la vérité, je dois tout lui dire, et ce sera long, et elle m'en tiendra sûrement rancune. Je l'ai suivie, traquée, d'un continent à l'autre, après tout, sur la seule intuition jalouse qu'elle fréquentait un homme que je ne connais pas, elle qui pourtant ne me doit rien et n'a aucun compte à me rendre.
– Mais je n'en savais rien, je t'assure. Je te croyais partie aux États-Unis, c'est toi-même qui me l'avait dit !
Elle ne répond rien et me regarde d'un air suspicieux.
– Tu crois, dit-elle enfin, que le Fumoir est déjà ouvert ?
– Ça m'étonnerait, dis-je. Ce n'est pas le genre d'endroit où vont les employés avant le travail. Mais si tu veux prendre un café, viens, on en trouvera bien un qui est ouvert.
Je fais un signe en direction du Louvre, dont la silhouette imposante se dresse face à nous dans la lumière naissante, comme un grand mur noir.
Elle hoche la tête.
– Non, dit-elle, en fait je n'ai pas le temps, je suis même bien en retard. Tu connais la Baguette magique ? C'est un restaurant dans le onzième. On s'y retrouve à 13h30, pour déjeuner.
J'accepte son invitation avec soulagement.
Elle s'éloigne en direction de la rive droite. Je regarde l'heure ; il n'est même pas encore 5h30. Je décide de rentrer tout de suite chez moi, je vais me recoucher, dormir, et arriver frais et dispos au restaurant. J'hésite pendant quelques instants à prendre le métro, qui doit bien avoir repris à l'heure qu'il est, mais finalement je préfère rentrer à pied.
Quai de Conti, je remarque un homme appuyé à un arbre : il regarde dans tous les sens, sort son téléphone et le regarde intensément, comme s'il était parfaitement normal qu'il se trouve là, devant l'institut, à cette heure-là. En réalité, c'est sa chevelure qui est remarquable. Il a des cheveux frisés très longs, très noirs, qui forment une vaste bulle autour de sa tête, comme un mouton qui aurait la chair de poule.
Je ne peux m'empêcher de sourire et je détourne le visage pour qu'il ne me voie pas – il semble en effet me suivre du regard.
Quand je repasse devant l'agence de voyages où je m'étais arrêté tout à l'heure, j'aperçois ce même homme dans le reflet de la vitrine. Sur le trottoir d'en face, il marche d'un pas lent, il déambule, comme un touriste.
À ce moment passe un taxi. Je suis trop las, je le hèle. J'ai besoin d'aller dormir
Le taxi me dépose devant ma porte. Je monte à mon appartement et allume mon ordinateur pour faire une petite recherche au sujet de ce restaurant, la Baguette magique. Je trouve assez facilement, ils ont leur propre site. Je note l'adresse. Pendant quelques secondes, j'hésite à les appeler pour réserver ; puis je me ravise ; je me demande ensuite si je ne devrais pas plutôt appeler Reinette pour lui demander si elle croit qu'une réservation est nécessaire. Mais c'est idiot. Enfin, je me rends compte qu'il est à peine six heures du matin, et qu'il n'y a personne pour me répondre, dans ce restaurant, à cette heure.
Je vais donc me coucher et je m'endors immédiatement. Je fais un rêve confus, plein de péripéties. À la fin du rêve, un géant s'emparait d'un arc-en-ciel, le tendait comme un arc véritable, y encochait un énorme chêne et le tirait au loin, bien au-delà de l'horizon. Puis il se tournait vers moi et demandait : « Où va l'arbre ? où va l'arbre ? »
Je m'éveille en sursaut, je m'empare du téléphone que j'ai laissé sur la table de nuit, car j'ai l'impression de l'avoir entendu sonner. Mais non, je me suis trompé, rien du tout. J'en profite pour regarder l'heure : il est 11h30. Mais qu'est-ce que c'est que cette phrase de mon rêve : « Où va l'arbre ? » C'est la deuxième en quelques jours qu'elle apparaît dans un de mes rêves, c'est quand même étrange. Que peut-elle bien signifier ?
Je me lève et je vais à ma bibliothèque. J'ai quelque part un bouquin sur l'interprétation des rêves – un bouquin ridicule, que mes copains m'avaient offert par plaisanterie, mais je suis désespéré, je n'en peux plus de me poser tous les jours d'innombrables questions sans jamais avoir de réponse. À l'article « arbre », je lis : aspiration à plus de spiritualité ; arbre en feu, mauvais présage ; tomber d'un arbre, une nouvelle vous affectera ; arbre en fleurs ou portant des fruits, prospérité.
Rien sur un arbre en mouvement, sur un arbre tiré à l'arc comme une flèche...
En remettant le dictionnaire sur l'étagère, je jette un coup d'œil par la fenêtre, et je remarque deux personnes qui semblent en grande conversation. L'une des deux personnes est le jeune homme de ce matin, avec l'immense chevelure en bulle.   
   
(à suivre)

FG