lundi 16 avril 2012

TEAM TWO - episode 22


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Elle s'assoie en tailleur sous son regard faussement détaché. Elle lance à nouveau les dés, qui rebondissent avec violence et s'écartent à grands bons l'un de l'autre dans des directions imprévisibles. L'un d'entre eux fait un six, l'autre est dissimulé par un pied de table. Il voit l'écran de son téléphone s'allumer, par terre. Un numéro japonais. Quelle heure est-il, à Tokyo? La machine lui propose "répondre" ou "ignorer". Il ignore. ” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “Mais comment escalader cette montagne dont le sommet, au-delà des nuages, lui semblait plus éloigné que jamais, lui que sa misérable déconfiture avait jeté plus bas que terre? Il lui fallait un maître. Il lui fallait quelqu’un qui connaisse les usages, ce qui se fiat, ce qui ne se fait pas, ce qui séduit les juge, ce qui leur inspire du mépris. Il tournait cette idée dans son esprit, ne prêtant qu’une oreille distraite aux ruminations de Peids Nuageux, quand la solution lui apparut, évidente: pourquoi courir le monde quand, à sa table même, il avait, à défaut d’un maître, ce qu’il fallait bien appeler un amateur éclairé. Chan Li Poum se mit à regarder avec attention le moinillon. Il n’écoutait pas plus son monologue, mais, examinant son visage, ses mains, ses effets, pour déterminer s’il pouvait faire office de maître. Il déciderait le lendemain, après avoir dormi sa nuit. Cette résolution lui inspira joie et espoir - et Pieds Nuageux crut, devant la mine réjouie de son convive, que ses exhortations à renoncer aux concours impériaux avaient fini par pénétrer l’esprit du jeune paysan.” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Aujourd'hui, nous sommes mardi. Et le "Ce Que C'Est" est connu depuis une semaine. Depuis que le médecin a dit : "je sais ce qu'est le Ce Que C'Est" et le mot est sorti de sa bouche, et le mot s'est mis à ricocher sur les murs, sur ses diplômes, sur ses bouquins rouges _Vidal_ vital_ et sur l'odeur d'éther et de détergent qui règnent dans le cabinet, et le mot s'est mis à divaguer : "je suis le mot qui est le Ce Que C'Est, je suis le mot qui donne du sens à tout ça, je suis le mot. Je suis Ce Que C'Est", et le mot s'est mis à donner une direction à ma vie, à lui donner du sens, comme la mousse sur les arbres qui indique le nord. "Je suis le mot qui est le Ce Que C'Est, je suis le mot que tu as tant entendu autour de toi sans savoir vraiment qui il était, je suis le mot qui a un visage, je suis le mot qui a désormais un goût, une odeur, une réalité. Je suis le mot qui va te faire vomir, je suis le mot qui va te faire pourrir, je suis le mot que va te voir dépérir. Je suis le mot qui te fera sèche, je suis le mot qui fera pleurer tes proches, je suis le mot qui te fera me haïr, je suis le mot si simple qui fera l'habitude, je suis le mot qui te dispensera de tout, je suis e mot qui te dispersera, je suis le mot qui est le Ce Que C'Est". Pourquoi se faut-il qu'une seule lettre les sépare ? Pourquoi se faut-il que ces deux-là soit si proches ? Du r de regain, je construis du mot "mot" la mort. "Vous avez un". "Vous avez un". "Vous avez un". Pourtant, j'avais l'étrange impression parallèle que ce mot n'avait aucun sens et d'être en train de vivre autre chose sur une île ou bien une plage déserte. J'avais l'impression d'être en vogue sur un bateau. Dans des bras, ou la tête sur un oreiller. Dans une forêt, un endroit très calme loin d'une autoroute ou des poids-lourds. J'avais l'impression de ne pas être présente et de ne pas m’inscrire dans une réalité. "Vous avez un". Deux, trois, quatre... J'avais la tête ailleurs. Loin du Ce Que C'Est. Je regardais par la fenêtre la Lune qui était là en plein jour. Bleue pâle dans le bleu moins pâle du cil et les nuages. Ai-je écrit "cil" ? La Lune est un œil-leurre qui m'éparpille et m'éloigne du Ce Que C'Est. Un temps. Celui nécessaire à une larme pour couler. "Nous allons mettre en place un protocole ". "Il ne semble pas encore invasif". "Nous allons poursuivre les examens". "Plus approfondis". "Ne vous en faites pas". "Continuez à faire ce que vous faites d'habitude".
Et j'ai repensé à l'ampoule électrique qui avait claqué il y a de cela une semaine. Puis : les choses claquent. C'est ainsi. Rien n'est immuable. Rien ne reste.
"Ne t'en fais pas" _ c'est le mari_ "ne t'en fais pas, je suis là". "Je serai toujours là". "Je suis ton Pléthore, tu t'en souviens" _ "oui, je me souviens bien...".
Mais ça fait peur. Il ne faut pas croire que ça ne fait pas peur. Il y a des fois où le Ce Que C'Est est très présent et d'autres où il l'est moins, mais le Ce Que C'Est est toujours là, à l'affût. Comme un prédateur. Je commence à peine à le comprendre et il ne m'a fallu qu'une semaine. C'est un combat. Qui commence.
J'ai téléphoné à ma mère "Maman, j'en ai un. Je l'ai. J'ai un Ce Que C'Est". Sur une boîte vocale : je me suis sentie si pathétique. J'avais oublié qu'elle était en Egypte, en voyage organisé par le CE de la mairie.

En résumé, il existe de nombreux mécanismes permettant de contrer le développement d’un cancer. Dans de rares cas, la cellule cancéreuse peut proliférer dans l’organisme mais pour cela, il faut qu’elle acquière :
• l’indépendance vis-à-vis des facteurs de croissance nécessaires pour leur mitose (les cellules cancéreuses possédant un pouvoir mitotique bien supérieure aux cellules saines leur autorisant un accroissement et une prolifération excessivement rapides)
• la perte d’inhibition de contact
• la modification des facteurs membranaires (acquisition des propriétés
destructrices locales ou au contraire de stimulation) pour leur permettre de
se déplacer (prolifération métastatique notamment).
L’absence d’une seule de ces propriétés peut entraîner l’arrêt du processus cancéreux.” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “Ce fut une nuit épique qu’ils passèrent tous à se battre contre les éléments, les circonstances et les hommes politiques. On scruta les la moitié du pacifique sud à l’aide de satellites ultra perfectionnés, le nec plus ultra de la technologie chilienne. Elle avait fait jouer ses contacts à l’étranger et, durant une heure, l’un de ces méga satellites américains, capables de voir une fleur au bout d’une branche de cerisier, zyeuta de son orbite les alentours de l’Ile de Pâques. Les téléphones sonnaient, les analystes analysaient, les computeurs compilaient, les spécialistes des télécommunications lançaient des messages aux quatre vents, les parlementaires, réveillés pour l’occasion, eux, ils firent comme d’habitude – ils parlèrent et ils mentirent, en même temps bien entendu, c’étaient les meilleurs de tous – et Elle, de son estrade, restait impassible. La nuit l’avait rendue silencieuse. Elle était aux aguets, attendant une étincelle, une lueur, un signal un bip, n’importe quoi qui lui permettrait de conserver la situation en main. L’obscurité passa et le retour de la lumière du jour confirma que les teints blêmes n’étaient pas l’effet des néons. Le sommeil s’installait progressivement. Il avait commencé par Christobal, terrassé depuis plusieurs heures déjà. Les yeux ne s’ouvraient plus bien, on les frottait vigoureusement. Seul l’amiral Ramirez, le gradé de l’armée de l’air, gardait un côté pimpant dans son uniforme impeccable. Il raccrocha son portable, CLAP ! tout le monde sursauta, il se composa un sourire d’or et d’ivoire et s’approcha à pas mesurés de l’estrade. Ses poings se serrèrent alors qu’elle le voyait arriver, elle savait, l’idole allait tomber. Elle avait failli, elle devait déchoir.” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “Maya baissa le regard vers les paumes de ses mains et poussa un profond soupir. « Notre maison », commença-t-elle. « C’était la nuit. La nuit noire, une nuit sans lune. J’étais avec mon père, il veillait comme il a l’habitude de le faire à lire ses vieux bouquins sur l’Egypte des Pharaons. Ses vieux grimoires, je les appelais. Nous étions seuls dans la maison, ma mère était partie dormir chez sa sœur, comme ça lui arrivait souvent quand elle se sentait étouffée dans la maison. Moi, cette atmosphère poussiéreuse ne m’a jamais dérangée. On était dans le salon éclairé d’un lustre à différents étages. Je n’oublierai pas ce lustre. Quand le téléphone a vibré (« BZZZZZZZZZ ! »), il s’est détaché tout seul du plafond, comme s’il obéissait à un ordre, et il s’est brisé sur le sol en mille morceaux. ” (Juliette Sabbah)