lundi 16 avril 2012

TEAM TWO - episode 17

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]




(Suite de l’histoire n°1) “Il lance les dés et fait huit. Six et deux. Il se lance. "Le passage de la combinaison "six-trois" à "six-deux" nous indique, surtout après deux jets de suite à "neuf", une menace de dégradation lente, la perte progressive d'un état de stabilité. Le six, qui reste constant, présume un socle fiable et  pour le moment inattaqué. La corruption vient des marges, s'attaque au point le plus faible, dissimulée, ne se révélant qu'une fois devenue inévitable." Il marque une pause, sans lever les yeux vers elle, pour sentir son sourire timide comme on imagine frémir les feuilles d'un arbre. Perdu dans ses métaphores botaniques, il ne remarque qu'au dernier moment deux petits insectes passer à toute allure derrière l'aquarium. Alors qu’il allait reprendre, sa bouche s'assèche soudainement. ” (Charles M)


(Suite de l’histoire n°2) “LLe greffier prit son pinceau, le trempa dans l’encrier et, d’un geste ample, inscrit sur le registre le nom du candidat, apposa le sceau de Maître Fi Chan sur l’attestation, souffla dessus pour faire sécher l’encre - et tendit le papier au lauréat, qui courut vers ses parents, qui l’attendaient derrière le saule, avec la foule des badauds. Le maître assis à droite de Fi Chan lissa sa moustache et murmura un mot au greffier, qui se leva avec cérémonie et lança: “Prochain candidat?” Pieds Nuageux poussa du coude Chan Li Poum: “C’est ton tour, petit scarabée! Montre-leur ton gongfu de la guêpe, qu’on rigole un peu!”” (David M.)


(Suite de l’histoire n°3) “Mais rentrons dans le vif du sujet : sortons quelques organes de cette doxa qui nous encombre et je dis avec une bouche des plus déterminée mais sans maquillage et un scalpel : "nous" mais je pense "vous" ou "moi" ou encore "ensemble", "cotillons", "soulèvement", "fanfreluches" et "fêtes épaisses" pour "corps électoral", "quorum", "référendums" et "force de propositions".
Voici pour vous un peu plus dévoilés, quelques points clés de mon nouveau programme et qui s'articulent autour d'une utilisation raisonnée du fascisme pour le bon déroulement d'une vie placée sous les meilleures hospices. Je dis "oui", je dis "non", vous dites "pourquoi", je réponds "parce que", vous avez les questions, j'ai les réponses, vous êtes l'oreille, je suis la voix.
J'assume pleinement tout ce que je m'apprête à dire : je suis une femme responsable, j'ai des arguments et je sais qu'ils sont bons et doux. Je peux les démouler et les démontrer. On peut les démonter que je les recollerai. J'assume la responsabilité de mes actes et de mes paroles aussi bien sur un plan politique, moral, qu'historique. Que l'on ne m'accuse pas de me dérober : je ne suis ni glissante, ni fuyante : je n'aime pas l'huile. Je suis dressée devant vous, fière et plus que jamais décidée. Je n'ai nul besoin de soutien : mes seins tiennent tout seul et je ne cherche pas à vous convaincre avec eux.
Ce pays a besoin d'un renouveau tant il ne peut plus continuer de se construire sur ses acquis qui n'en sont plus depuis longtemps tant trop se sont déjà servis. Trop de présidents chiliens se sont succédés à sa tête aussi et surtout. Cela ne peut plus continuer éternellement : nous sommes les seuls à pouvoir diriger notre pays et cela grâce, notamment, à la mousse qui pousse sur les arbres. Voulez-vous vraiment que cette nation soit laissée entre les mains d'étrangers qui sentent l'arnaque et la cupidité ? Souhaitez- vous sincèrement que vos intérêts soient défendus par des personnes qui n'ont aucune connaissance du terrain ? De notre terrain ? Ne les laissons pas dicter nos lois, ne les laissons pas s'enrichir avec notre argent ! Notre sueur n'est pas la leur : nous sommes d'ici, d'où proviennent-ils ? Qui le sait ? Ils ne font jamais que récolter le fruit de notre labeur _ ils se servent _ et amassent les gains comme les bousiers la merde. Nous nous sommes battus pour ce pays, nous avons des droits. Alors bien sûr, certains tenterons de m'opposer à cette idée celle selon laquelle les chiliens représentent une opportunité dirigée vers les Etats-Unis. Les Etats-Unis ne sont en rien un abri mais un leurre ! Ils ne nous font pas une fleur en nous envoyant les chiliens, non, ils nous condamnent pour mieux nous posséder ! Ils l'ont déjà fait dans d'autres pays ! Ils ont leurs raisons, mais ce ne sont pas les nôtres ! N'oublions pas que le miel est donné par un animal qui peut piquer. La manne américaine est la vaseline des enculeurs du peuple ! Méfions-nous et ne baissons pas la garde !
Les chiliens, je vais vous dire, ne servent à rien. Il suffit de regarder du côté de leur nourriture ou bien de leur littérature : ils n'ont aucun goût. L'empenada, quelle blague ! C'est un mirage de spécialité culinaire pour touriste stupide. L'empenada n'est même pas chilienne mais espagnole : ils l'ont simplement adaptée tellement ils n'ont aucun talent. Demandez à un français ce qu'il connait de la cuisine chilienne et nous verrons bien : il répondra "ah ah" et vous comprendrez "oh oh" ! L'asado, aucun commentaire. Les chiliens se contenteraient bien assez d'excréments parce qu'ils ne connaissent que cela. C'est si frontalement inexistant. Et leur littérature... Un pays sans auteurs est un mirage de pays. Ah non, Bolaño n'est pas chilien mais mexicain de cœur et d'esprit donc mexicain à part entière, autant que Fresán qui n'est plus argentin pour un sous mais lui aussi mexicain. Qui d'autre ? Jodorowski est un affabulateur sûrestimé qui filme et écrit ses rêves de fous comme n'importe qui pourrait le faire avec un minimum de talent et d'argent et donc de drogues. Neruda... Nerruda, franchement, qu'ai-je de plus à en dire que je n'ai déjà dit sur lui ? Je ne veux plus en débattre. Les pays se fabriquent les héros dont ils ont besoin au moment où ils en ont besoin. L'opportunisme a fait ses classes et le Chili s'en est fait une spécialité comme Venise pour les masques et le carnaval et les amoureux et les eaux douteuses et les ponts qui cachent des choses. Voudriez-vous sincèrement être encore dirigés par un peuple qui ne sait pas écrire ?” (Alban Orsini)


(Suite de l’histoire n°4) “La nervosité avait atteint son paroxysme. Ça le grattait de partout, ça le piquait et le café sur sa chemise le brulait. Il avala difficilement sa salive alors qu'il tapait les derniers chiffres. Depuis que Christobal travaillait ici, il n'avait du lui parler que trois fois, si l'on excepte les saluts discrets  - mais respectueux - qu'il lui adressait lorsqu'il la croisait dans les couloirs. Elle, elle ne le regardait pas. Que voulez-vous, c'est comme ça avec les êtres supérieurs.
Elle était une légende à l'aéroport de Santiago. A la suite à un grand nombre d'erreurs d'aiguillage, un désordre constant et l'étroitesse des pistes, l'aéroport avait progressivement été déserté par les grades compagnies internationales qui lui préféraient celui plus pratique de Valparaiso. Ca avait jasé en haut lieu. On s'était étonné de ce qu'une capitale d'un pays comme le notre ne puisse accueillir de vol direct pour Sydney, Tokyo ou On-ne-sait-quelle-ile-du-pacifique. Bref, on l'avait envoyé. d'étranges histoires couraient sur elle. On la disait descendante des prêtres incas. D'autres pensaient plutôt à une sorte de super agent qui avait été formé par la CIA. D'autres encore avaient émis la certitude qu'il s'agissait simplement de la maîtresse du ministre des transports. Il y avait d'autres histoires, plus sombres et farfelues. Lorsqu'on l'avait vu arriver, certains s'étaient permis des réflexions déplacées, des familiarités excessives. Ils avaient vite disparu. a la cantine, la rumeur apparut qu'elle les avait sacrifiés aux dieux Cargo encore vénérés en nouvelle-guinée, une offrande propitiatoire coulée dans le béton des pistes flambant neuves. Depuis son arrivée, on filait droit. On la craignait. On la vénérait. Certains extrémistes lui avaient installé une chapelle dans un ancien placard d'entretien. Un petit autel tout simple avec une bougie et une statue de la madone taillée dans une pierre noire. On venait lui faire des offrandes dans l'espoir d'un quelconque avancement, d'une promotion. Réalité ou non, on avait rasé les bosquets aux alentours de l'aéroport pour créer de nouvelles pistes, les avions s'étaient remis à bourdonner dans le ciel de la capitale et les guichets de nouvelles compagnies internationales avaient massivement refleuri. L'aéroport avait retrouvé sa place de numéro un.
Pendant ce temps, Christobal avait compté cinq bips. Personne n'avait répondu. Plus que trois et il se sentirait le droit de repasser le problème à quelqu'un d'autre, un subalterne qui se chargerait directement de lui expliquer. Encore deux. Elle ne décrochait toujours pas. Peut-être était-elle quelque-part dans les couloirs. Non, c'était un numéro de portable. Une. Il y était presque quand soudain:

"QUOI!"” (Julien D. assure l’intérim de 008)


(Suite de l’histoire n°5) “« On aurait mieux fait de camper », grommela-t-elle, espérant vaguement qu’adopter une attitude bougonne lui remonterait le moral. Elle récupéra une clef, attachée à un porte-clefs dont la forme lui rappela le médaillon scarabée de son compagnon de voyage. « Il y a une vue sur le jardin ? » s’entendit-elle demander, se sentant aussitôt ridicule. Un jardin, comme si quelque chose pouvait pousser sous ce soleil de plomb. « Bien sûr madame » lui répondit le réceptionniste avec un sourire. « Et la piscine se trouve au dernier étage ».” (Juliette Sabbah)