dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 6 - FG

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 32 à 36 écrits par FG forme la page 6 de son texte.]


"Je n'ai pas l'habitude de voir les rues de Paris parfaitement vides ; personne, pas un chat ; aucun autre bruit que le claquement de mes chaussures. Aux carrefours, les feux continuent à émettre leurs signaux, mais il n'y a pas de voiture. Une lumière grisâtre, couleur de laine sale, commence à monter et fait pâlir l'éclat des lampadaires.
Brusquement, devant la vitrine éteinte d'une agence de voyages, je m'arrête. Il faut que je réfléchisse. Si Locus est là, quelles questions dois-je lui poser ? C'est déjà assez compliqué de le trouver, je risque de ne jamais pouvoir le revoir. Je connais l'identité de l'homme qui était avec Reinette ; je peux lui demander des renseignements, en savoir plus sur ce cinéaste. Ce que je ne sais pas, c'est qui m'a envoyé ces textos. C'est ça, la vraie question. Était-ce Locus ? Et si oui, pourquoi ?
Me voici arrivé au Louvre, qu'il faut contourner puisque tout est encore fermé. Au-delà des arcades, j'aperçois la pyramide, étonnamment petite et frêle dans cette pâle lumière. Je presse le pas, car ce détour risque de me mettre en retard. Il est déjà presque cinq heures. J'arrive enfin à la Seine ; je ne distingue personne sur le pont des Arts.
Je me rends jusqu'au centre du pont et, les bras serrés contre le corps, je fais les cent pas, je regarde et j'attends. Un employé municipal passe, son balai vert qui traîne derrière lui. De temps à autre, il donne un coup velléitaire et découragé avec son instrument. Il heurte une bouteille de bière, qui se met à rouler tout doucement vers le bord du pont. Nous la suivons tous les deux du regard, tandis qu'elle poursuit son lent et cahotant chemin et disparaît par-dessus bord. Il lève les yeux vers moi et hausse les épaules. « Celle-là sera pour les poissons », semble-t-il dire. Il s'éloigne.
Je regarde vers l'horloge de l'institut, mais il n'y a toujours pas assez de lumière pour y distinguer l'heure. Je regarde donc ma montre : il est 5h04.
J'attends. Je continue à attendre. Le jour se lève, un jour gris et froid. Je suis pris d'un grand sentiment de découragement. Il ne vient pas, il ne viendra pas. Que faire, alors ? "Sur le pont à cinq heures", m'a dit Boulier. Si ce n'est pas ici et maintenant, où ? et quand ?
Mais je n'ai pas le temps de sombrer dans la mélancolie. Les voitures sont de plus en plus nombreuses, et leur vrombissement ne s'interrompt désormais presque jamais. Pourtant, brusquement, survient un moment d'accalmie. Aucune voiture ne passe pendant plusieurs secondes, et un silence profond se répand sur le pont des Arts. J'entends brusquement des pas derrière moi, provenant de la rive gauche. Je fais volte-face, et j'aperçois au loin une silhouette que je ne peux identifier. Je ne peux même pas encore dire si c'est un homme ou une femme : ce n'est, pour l'instant, d'où je suis, qu'une figure mince, et qui s'avance à pas très lents, mesurés.
Mon regard ne peut plus se détacher de cette personne qui arrive, dont les contours deviennent de plus en plus précis au fur et à mesure qu'elle s'approche. Je suis comme le parent inquiet, qui voit par la fenêtre arriver son enfant qui avait disparu depuis des heures, je suis comme l'amoureux transi qui attend son amoureuse à la sortie de l'aéroport, un bouquet de roses à la main. L'inconnu vient de traverser la rue, il s'apprête à s'engager sur le pont ; je compte chacun de ses pas, 15, 16, 17... Je regarde l'heure sur mon téléphone : 5h15.
Cependant, la distance et la perspective peuvent parfois avoir des effets trompeurs : de loin, cette figure me paraissait mince. Maintenant qu'elle est très proche, il devient évident qu'elle est plus que mince : elle est petite, toute petite. Trop petite, de fait, pour être un homme. C'est une femme. Elle porte un imperméable gris et un béret assorti.
Elle n'est plus maintenant qu'à une dizaine de mètres. C'est Reinette ! Je marche à mon tour vers elle, étonné, ahuri, bouleversé. Reinette ! Mais puisque c'est Locus qui a parlé à Boulier qui m'a communiqué ce message, cela signifie donc qu'elle est en contact avec Locus ? Je ne comprends plus rien.
À cet instant précis, tous les lampadaires s'éteignent, tout d'un coup. Reinette, qui marchait lentement, tête basse, apparemment perdue dans ses pensées, se redresse, curieuse de savoir ce qui a provoqué cet inattendu changement de luminosité. Elle cesse de marcher, et une surprise immense peut se lire sur son visage : elle vient de m'apercevoir."
    
    



(à suivre)

FG