dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 5 - Louis Butin

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 27 à 31 écrits par Louis Butin forme la page 5 de son texte.]

Il gémit en se recroquevillant sur lui-même. Son flanc humide le faisait souffrir ; une brèche avait été ouverte dans sa muraille et il croyait sentir la vie s’écouler hors de lui. Maintenant sa vision s’assombrissait ; il tentait en vain de fouiller les ténèbres du regard.
Une haleine chaude, toute proche, puis un cri : « Han ! C’est Jiji !… Antoine ! qu’est-ce que tu as fait !
— Mais c’est lui ! C’est quoi ce monstre ! C’est un malade ! Il m’a attaqué tout à l’heure !
Hh ! Qu'est-ce que tu lui as fait ? Il... Il est en train de mourir ? J’appelle les secours !
— Attends, bon… enfin, faut quand même pas déconner, je lui ai juste mis un coup de couteau de dînette…
— De… de dînette ?
— Je voyais rien, j’ai trouvé que ça… et je l’ai juste piqué au foie avec…
— Oh ? La vieille dînette dans le débarras ?
— Aah…, gémit Jean-Jesus. Coro… Coralie… Ma fleur…
— Mais tu connais ce type ?, fit Antoine.
— Un peu… ça fait longtemps… on jouait des fois aux cow-boys et aux indiens dans le jardin.
— Il est gigantesque…
— Comme toi…
— Il est dangereux ?
— Pas autant que toi…
— On dirait qu’il s’est évanoui », murmura Antoine.
Il replia sa longue silhouette auprès de celle de l'autre géant et palpa du côté de sa blessure.
« Ça a saigné un peu… Allume la lumière… »
Coralie s’en fut du côté de l’interrupteur et l’électricité grésilla bientôt dans le filament de l’ampoule.
« Eh bien, tu n’y es pas allé de main morte, constata-t-elle en voyant la tâche sombre sous la chemise.
— Ça a dû frotter… Je ne pensais pas pouvoir vraiment le blesser avec ce petit truc…
— Oh… Et toi ? Tu es salement amoché aussi… »
Son arcade sourcilière était défoncée et une poche bleutée couvrait quasiment l’œil gauche. Mais Antoine Longin en avait vues d’autres, des bagarres, un globe trotter comme lui. À Colombo, il s’était fait rosser par de louches intermédiaires qu’il avait essayé d’entourlouper sur la vente de splendides saphirs ; à Karachi, on lui avait coupé deux doigts pour deux émeraudes ; au Liberia, il s’était fait arracher plusieurs dents pour des diamants.
« Alors un bleu… penses-tu..., grimaça-t-il virilement.
— Et ce pauvre Jiji… Regarde-le…
— Il va s’en remettre, fit Antoine après avoir soulevé sa chemise pour inspecter la blessure. Une éraflure… même pas une piqûre de guêpe…
— Sacré Jiji. On dirait encore un enfant. Tout neuf. Avec sa grosse touffe de cheveux… tu sais qu’il n’a jamais voyagé ? À cause de son père, il m’a dit… Il a peur de l’avion. Je crois bien qu’il n’a jamais quitté le quartier.
— Coralie, fit Antoine en la regardant d’une façon suspecte. Pourquoi, dans ce bar, tu m’as choisi, moi ?
— Et pourquoi pas toi ?
— Coralie, regarde-le, regarde-moi… Le même corps rallongé n’importe comment… Les pieds et les mains démesurés comme moi. Les mêmes bonnes joues et aussi, là, ses sourcils broussailleux… Tu ne vois pas une ressemblance ?
— Non. Pas vraiment. Vous n’avez strictement rien à voir l’un avec l’autre… La même taille ? Faut être parano, Antoine… Dans ce bar, tu es le seul à avoir osé poser la main sur moi, c’est tout.
— Parce que tu me regardais…Non, je suis sûr qu’il y a quelque chose entre vous. Un équilibre que tu n’oses pas rompre…
— Antoine, je ne te connais pas bien et tu me fais peur. Tu évalues tout, tu calcules tout.
— Je suis un homme de vertiges, Coralie. »
Il passa sur elle sa large main. Il semblait pouvoir recouvrir sa tête, tenir tout son dos, prendre ses deux fesses dans la seule paume de cette main spectaculaire.
Jean-Jesus somnolait, les yeux entr’ouverts et grommelait de désapprobation.




(à suivre)

Louis Butin