dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 6 - Alice Bé.

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 32 à 36 écrits par Alice Bé forme la page 6 de son texte.]

-       Que se passe-t-il donc ? demanda Salomon, regardant son cousin si métamorphosé avec une curiosité presque réjouie. Le lion serait-il en train de se muer en mouton ?
-       Eh bien je ne sais pas trop, vois-tu. Des amis nous ont conseillé de partir à l’étranger, parce que le gouvernement commence à s’intéresser d’un peu trop près aux biens des juifs. Mais je ne sais pas quoi faire. Notre vie est ici, nous ne sommes pas des étrangers, enfin, et puis nous avons toujours eu d’excellents rapports avec les autorités.
-       N’y a-t-il pas justement quelqu’un de ce bord-là qui pourrait vous renseigner ? Quelqu’un en qui tu aurais confiance, et qui pourrait te rassurer ? Partir comme ça, brusquement, me paraît un peu précipité, sans compter que ça pourrait donner l’impression que la famille a quelque chose à se reprocher
David le regarda avec une nuance de respect, chose assez inhabituelle pour que Salomon en soit à la fois surpris et touché.
- Tu as raison, Salomon. Laisser la maison serait absurde, et puis, nous avons mis le jardin à disposition des autorités, le Ministre était ravi.
David poursuivit, d’un ton de plus en plus assuré ; il semblait à présent s’adresser davantage à lui-même qu’à son cousin.
-       Et puis, retirer nos investissements du pays, cela serait du plus mauvais effet. Il faut au contraire qu’on montre notre loyauté. Si tous les Juifs s’en vont à la moindre rumeur, n’a-t-on pas raison de les qualifier de traîtres ? Merci, Salomon, de m’avoir ramené à la raison.
Avec un sourire radieux, qui réchauffa Salomon jusqu’à la moelle, David lui tendit la main.
En la serrant, cette main fine et soignée, à l’étreinte sincère, Salomon oublia ce pour quoi il était venu, Mme Cohen fut effacée de son esprit, qui le ramena soudain dans son enfance, lorsque David et lui jouaient dans le jardin du manoir. Un jour, Salomon était allé se cacher dans une petite cabane où le jardinier rangeait ses outils. Il n’avait pas allumé l’ampoule électrique, n’avait pas croqué dans la pomme que lui avait donné la mère de David pour le goûter, pour ne pas se faire repérer. Silencieux comme un Sioux aux aguets, il avait fini par s’endormir contre la porte. A son réveil, il s’était rendu compte que David, sans doute lassé par le jeu, était rentré dans la maison et l’avait laissé seul, dehors. Il faisait nuit à présent, et, manifestement, personne au manoir n’avait remarqué son absence.
Ces bisbilles d’enfants étaient effacées par la poignée de main. Salomon se sentait élevé jusqu’aux sommets. Sorti des rangs des moutons pour devenir quelque chose de plus noble. Son apparence physique s’en trouvait transformée : ses yeux un peu globuleux brillaient d’un nouvel éclat, sa bouche aux lèvres charnues s’était durcie d’un pli volontaire. Et, comme pour parachever une chance à laquelle quelques heures auparavant il n’osait pas encore croire, il entendit David dire :
- Ah, voici Griselda. Je ne sais si tu as eu hier l’occasion de lui être présenté.
C’était bien elle, la fée blonde de la veille, cette présence mystérieuse et secrète qui avait foudroyé Salomon. Sans sa robe de soirée, elle était certes moins flamboyante, mais la douce lumière du jour et son modeste chemisier couleur crème mettaient en valeur sa beauté simple, la régularité de ses traits.
David, qui la connaissait apparemment assez bien, lui présenta Salomon, puis lui fit part de ses inquiétudes. Les yeux gris de la jeune femme s’assombrirent un instant, puis elle adressa un franc sourire aux deux hommes.
-       Voyons, David, tes papiers sont en règles ? La maison est à disposition des autorités si elles devaient en avoir besoin ? Que veux-tu faire de plus ? Il n’y a vraiment pas là de quoi t’empêcher de dormir, il me semble.   


(à suivre)

Alice Bé