lundi 16 avril 2012

TEAM TWO - episode 20


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Mais elle esquive sa pensée comme elle aurait esquivé son bras, s'il l'avait tendu, et regarde par la fenêtre comme pour y chercher le matin ou bien le soir. L'écho de son rire persiste dans un léger soulèvement de ses épaules. Sa beauté l'écoeure autant qu'elle l'éblouit. Je voudrais, pense-t-il, m'approcher de toi sans être vu et vivre dans ta splendeur come une mouche contre une ampoule à peine allumée, à attendre une chaleur suffisante pour y griller pleinement. Elle a encore quelques heures à tuer et le regarde avec la douceur sauvage d'un ogre attendri. ” (Charles M)



(Suite de l’histoire n°2) “Le bruit avait repris, les clowns et les jongleurs avaient repris leurs jeux, les maîtres avaient commencé à discuter entre eux - mais la question de Chan Li Poum, lancée d’une voix claire et calme, imposa à tous un silence étonné. Le greffier, à nouveau, secoua sa tête avec véhémence. Ma Jion sourit, se pencha en avant et du bout des lèvres, susurra: “Le jury n’a pas d’attente particulière. Vous pouvez toujours vous représenter, dans quelques mois.”. Le maître Ru No gloussa. Fi CHan lui intima le silence de ses yeux perçants. Chan Li Poum ne tenait plus sur ses jambes. Pieds Nuageux l'attrapa par les épaules et l’entraîna loin de ce lieu maudit, qu’il allait traverser encore des centaines de fois, mais toujours avec au coeur, à chaque fois, un coup d’écharde. Quelques heures plus tard, il était attablé dans une auberge, contemplant la nuit claire, un bol de nouilles froides devant lui, et le visage de Pieds Nuageux, impassible, devant lui. Pieds Nuageux: “Ces vieux fous sont des aveugles. Leur mission sacrée est de reconnaître, au sein des nombreux arrivistes, ceux qui pratiquent le gongfu pour les bonnes raisons, un gongfu mu par le souffle et la vertu, non par le désir d’apprendre un art rare qu’il leur permettra, plus tard, de réussir les concours impériaux. Mais ils son incapables de reconnaître le talent d’autrui, ils ne savent que célébrer la copie, la répétition, la vaine imitation.”” (David M.)



(Suite de l’histoire n°3) “Le texte qui suit constitue mon testament.



Ceci est mon testament, voilà mon testament, mon testament est juste dessous. Là, c'est mon testament.



Je soussigné, MOI, Moi, né le (date de naissance), à (lieu de naissance), demeurant à ce jour (adresse du domicile) déclare priver M. Lhomme, David, né le (date de naissance), à (lieu de naissance), demeurant à ce jour à (adresse du domicile) de tout droit à ma succession, à l'exception de la réserve prévue par la loi dans l'hypothèse où je n'aurais plus aucun descendant en vie à la date de mon décès, ce qui est le cas puisque je n'ai plus aucun descendant en vie à la date de mon décès.
Ce testament révoque toutes les donations de biens à venir consenties à son profit.
Bisous.
MOI Moi.



Je suis morte hier. La journée a été décrétée deuil national bien que mes opposants aient essayé de faire abroger cette décision. La mobilisation fut telle que le jour de mon décès est désormais férié. Youpi. Et puis il faisait beau alors tout le monde est descendu dans la rue dans une liesse. Le jour de ma mort est le plus beau jour de ma vie.
Une ombre au tableau concernant ma belle mort qui remet en cause toute mon existence même : comment ai-je pu être si crédule ? Comment ai-je pu être si manipulée et manipulable ? Ce n'était pas vrai que les Chiliens étaient mauvais, seul David Lhomme l'était. Comment ai-je pu ainsi me fourvoyer ? Comment ai-je pu être si aveugle ? C'est David Lhomme qui a versé le poison dans mon verre, certaines caméras de surveillance l'ont pris sur le fait. Il a commis son larcin et ça en pleine nuit : éclairé par la seule lumière de la Lune, il s'est dirigé dans la cuisine et a versé le poison dans ma bouteille de Muscat de Beaumes de Venise. Celle à peine entamée qui trônait dans le frigo du haut et que je gardais pour les moyennes occasions. Et ensuite il est parti comme si de rien n'était en sifflant "Somewhere, Over the Rainbow" ou bien "Moon River", on sait plus trop. Quelqu'un l'a vu faire en plus des caméras de videosurveillance. Quelqu'un l'a entendu. Quelqu'un a regardé au travers d'une serrure. Quelqu'un a des preuves de ça mais malheureusement un pot-de-vin a été versé et la bouche du spectateur scellée à jamais. Comment ai-je pu lui accorder ma confiance ? J'aurais dû me douter de quelque chose : il sentait si fort. Il faut toujours se méfier des hommes qui portent un mauvais after-shave. Un homme qui ne se soucie pas de ce détail finira par vous planter un couteau dans le dos. Surtout si vous êtes en politique car justement, en politique, tous les coups bas sont permis : ils sont même idéaux, comme le spleen. C'est une vérité. Des gens très intelligents ont déjà écrit sur ça.
Sans doute feront-ils une comédie musicale sur ma vie et j'espère que cet épisode sera fidèlement retranscrit pour permettre un final réussi. Dans une grande scène, on pourra voir la comédienne censée m'incarner, vaciller, se tenir le front, transpirer pour enfin tomber au sol avec une splendeur des plus raphaéliques. Elle fera pleurer le monde. Elles gagnera d'ailleurs un prix pour ça. Mais qu'ils ne transforment pas la réalité. Il faut que toutes les zones d'ombres soient éclaircies : n'est pas icône qui veut. Que l'on ne me fasse pas mourir d'un cancer de l'utérus ou de quelque chose de ce genre alors que j'ai bel et bien était empoisonnée. A la façon d'un Shakespeare et d'une tragédie de vengeur, la vengeance en moins. Quelque part, ce meurtre me sert à merveille : je vais être adulée pour une certaine postérité et avec un port altier: regardez-moi. MOIMOIMOIMOI, je bombe le torse. Ils vont faire une statue de cire à mon effigie. Je suis heureuse d'avoir ainsi été fauchée en plein ascension comme un Christ. Le peuple n'aura pas eu le loisir de vieillir avec moi, il ne m'aura pas vu déchue, voûtée, le corps accroché à une canne, sénile, faisant sous moi avec de la bave accrochée à mes lèvres comme un enfant à la main de sa mère, vieille et acariâtre comme jamais, et cela dans la déchéance d'une citerne inutile qui se déverserait sur rien. Non. Le peuple m'a vu défaillir lors d'un de mes discours les plus brillants. Toutes les télés du monde ont retransmis la scène. J'ai vu ce peuple. Qui me regardait, scotché par le flot de mes paroles, aimanté par mon magnétisme et mon charisme naturelle. Je les ai eus. J'ai réussi. Is sont à moi.
Et là-dessus, David Lhomme est venu m'arracher mon pouvoir pour en faire le sien et pire que tout, le partager avec les américains. Parce que ce n'est pas vrai que tout est la faute des Chiliens, on m'a trompé. Les Chiliens sont gentils, c'était David Lhomme le méchant depuis le début. Ainsi, dans tous mes discours, il convient de substituer au mot Chiliens, le nom de David Lhomme. Je n'aime pas David Lhomme. Je ne l'ai en fait jamais aimé mais je ne le savais pas. D'un grand malheur est venu la prise de conscience.
On m'a dit que certains de mes organes avaient été prélevés pour être greffés sur des malades : j'en suis plus qu'heureuse ! C'est un grand honneur pour ces patients, et une grande chance pour moi de savoir que mes morceaux vont me survivre.
Une dernière fois donc, je vous embrasse. Puisse la métempsycose me permettre de renaître ailleurs.
Votre.” (Alban Orsini)



(Suite de l’histoire n°4) “La perspective d’une petite apocalypse à soi s’écarte à mesure que l’on plaque, à même la surface de la Terre, de nouvelles grilles, succession de réseaux en pelure d’oignon ; succession physique, sociale, électronique et spirituelle. Modélisation d’objets selon des coordonnées précises, chaque point s’inclut dans le grand tout. Chaque altération de cet état, chaque action individuelle, chaque vague sur la mer de l’information se transforme inexorablement en happening télévisuel collectif ou, plus discrètement, vient grossir les pourcentages de quelques études statistiques.
Justement, son intervention à Elle avait changé la nature métaphysique de l’événement. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Ce qui avait disparu des écrans devait y retourner, d’une manière ou d’une autre. On avait embauché les meilleurs hommes pour veiller à cet état du monde et, à mesure que tous ces spécialistes s’enfonçaient dans une nuit qui s’annonçait longue, occupée par un méticuleux travail de recoupement, une tragédie de groupe s’était transformée en catastrophe internationale. Terminé l’instant où seul un témoin guettait l’oiseau de feu depuis la rive, le monde s’était invité à dîner et, déjà, une poignée de chaînes de télévision australiennes, latino-américaines et asiatiques s’étaient mises à produire et produire encore pléthore d’images d’illustration bricolées à partir d’ancien reportages. L’une avait récupéré les navires australiens des manœuvres militaires estivales et les avait réaffectés à la recherche de l’appareil. Tours de contrôles et étendues océaniques se fondirent en une sorte d’unique image quasi-subliminale qui criait de tous ses pixels « voici la tragédie du jour » dans les cuisines, les salons et les chambres pour la plus grande joie des téléspectateurs…” (Julien D. assure l’intérim de 008)



(Suite de l’histoire n°5) “Maya sortit de sa chambre, et donna un tour de clé. Elle dit tourner dans ses doigts le porte-clés en forme de scarabée et se promit de demander à son curieux compagnon des explications à ce sujet. Elle voulait en savoir davantage avant que ses yeux ne se ferment sous l’effet du décalage horaire. Elle devait aussi contacter sa famille, pour les prévenir de l’incendie quia avait ravagé la maison. Sa famille indienne se souviendrait-elle de Maya ? Elle n’avait pas voulu les voir pendant toutes ces années, alors qu’il aurait suffi de prendre un avion, songea-t-elle. L’incendie était en quelque sorte arrivé à point nommé. Quand elle arriva au bord de la petite piscine de l’hôtel, un croissant de lune était déjà visible dans le ciel.” (Juliette Sabbah)