dimanche 1 avril 2012

TEAM ONE - PAGE 8 - FG

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 42 à 46 écrits par FG forme la page 8 de son texte.]

Cela est vraiment trop improbable pour être une coïncidence. Je suis suivi, cela ne fait aucun doute. Que faire ? D'abord, il faut prévenir quelqu'un. Je prends mon téléphone et j'appelle Reinette ; elle ne répond pas, et je laisse un message : « Reinette, je crois que je suis suivi. Il y a un homme que j'ai vu tout de suite après notre rencontre, et que je vois maintenant, de ma fenêtre, sur le trottoir d'en face. Que devrais-je faire ? »
Je m'approche tout doucement de la fenêtre, pour pouvoir les regarder sans qu'ils s'aperçoivent de ma présence. Ils sont tous les deux appuyés au platane d'en face. Le compagnon de mon poursuivant est un homme plus âgé. Il doit avoir une cinquantaine d'années. Il tient un livre à la main, un livre de poche, que d'ici je n'arrive pas à identifier. Il a une tête disproportionnée par rapport à ses épaules, qui sont toutes petites et étroites, et voûtées jusqu'à paraître presque ronde, et son ventre est étonnamment saillant, lui aussi hors de proportion avec le reste de son corps, avec ses jambes et son torse. En somme, il a à peu près la forme d'un trou de serrure... Ces deux personnages, d'apparence bizarrement insolite si leur intention est de passer inaperçus, sont en grande conversation. Ils s'agitent, font des gestes, parlent fort.
Quoi qu'il en soit, l'homme plus âgé semble très mécontent, et le jeune homme frisé semble plutôt vouloir se justifier, expliquer ses actions. À tout moment, il ouvre les bras, paumes ouvertes, comme pour dire : « Mais qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? »
La sonnerie de mon téléphone retentit : je viens de recevoir un texto. C'est Reinette. Elle m'écrit : « Viens au resto en métro. Change à Châtelet. Trop de monde, ils seront désorientés, ils ne pourront pas te suivre. Pas de souci. »
Je regarde de nouveau par la fenêtre, toujours avec la plus grande discrétion. Le jeune homme a disparu, il ne reste plus que le vieil homme. Toujours appuyé au platane, il a ouvert son livre et lit. Puis, se disant sans doute qu'il ne pourra pas rester bien longtemps comme ça sans attirer l'attention, il se dirige vers le café du coin.
Quand vient l'heure de partir, je décide de marcher à pas lents et de passer devant le café, sans chercher à éviter mon poursuivant, comme fait celui qui n'est pas pressé, comme fait celui que ne se doute de rien et ne sait pas qu'il est suivi. Comme prévu, il sort du café et commence à marcher derrière moi. Ses enjambées sont courtes et rapides : il marche comme une blatte.
J'habite près de deux lignes de métro ; l'une est plus rapide pour aller au rendez-vous, mais l'autre est plus achalandée, et me permet de changer à Châtelet, comme le recommandait Reinette. Je choisis donc d'aller prendre celle-ci. Près de l'entrée, je sors ma carte Navigo et je la laisse tomber par terre en feignant la surprise, pour pouvoir me retourner et voir si mon poursuivant est toujours là.
Je l'aperçois sans difficulté, vingt-cinq ou trente mètres derrière moi : quand il m'a vu se pencher, rusé comme un sioux, il s'est arrêté devant la vitrine d'une agence immobilière. Je prends mon temps pour reprendre ma carte, et je m'amuse à le voir me jeter des coups d'œil en biais.
Je descends dans la station et arrive sur le quai précisément au moment où le train arrive. Sans me presser, j'entre et je m'installe à côté d'une vieille dame qui porte une écharpe d'un vert pomme tout à fait étonnant.
Je ne sais pas si j'ai déjà pu échapper à mon poursuivant. Je change de toute façon à Châtelet, comme prévu ; je me fais tout petit, je marche lentement, je reste dans la foule. Bien malin qui pourra me voir et me suivre. Je sors du métro et trouve facilement le restaurant : « La Baguette magique, bistro, grillades et vins de pays », indique la  porte d'entrée. Il est encore tôt, mais j'entre tout de même. Un serveur obséquieux, qui porte une fine moustache qui le fait ressembler à un comptable dans un film des années 50, me mène à une table ronde.
Je m'installe de façon à bien voir la porte. « Je ne voudrais pas louper Reinette », me dis-je. À la table d'à côté, un homme seul est en train de manger une darne de saumon grillé, tout en lisant un guide de voyage : L'Indonésie pour les petits budgets.
Il n'est encore qu'une heure quinze. J'hésite à commander à boire. Si je prends une bouteille, Reinette ne voudra peut-être pas de vin pour le déjeuner, et je ne pourrai pas toute la boire, ce serait dommage. Cependant, je vois sur le menu une bouteille de Château St-Ferréol à laquelle je ne peux résister. Je fais signe au serveur-comptable, qui me regarde en fronçant les sourcils puis fait un geste qui m'enjoint à attendre un instant. Il disparaît dans les cuisines. Deux autres serveurs en sortent bientôt ; le premier, corpulent, pataud, vient écouter ma commande. Le second, très mince, nerveux, pressé, surgit presque instantanément, une bouteille à la main. Malheureusement, ce n'est pas la bonne bouteille. Il repart, revient presque immédiatement, m'apprend qu'il n'y a plus de Château St-Ferréol à la cave. Je lui dis de laisser tomber, de m'apporter plutôt une carafe d'eau. « Château La Pompe », me dit-il en riant, comme s'il venait d'inventer la plaisanterie.
À ce moment, quelqu'un entre dans le restaurant. Je ne le connais pas, mais, après avoir jeté un coup d'œil circulaire, il se dirige directement vers moi. C'est un homme dans la trentaine, très grand, aux épaules très larges, le crâne rasé, des airs de para.   


(à suivre)

FG